Si une séquence de langue (« type », abstraite) peut être répétée identique à elle-même, l’événement – où se produit le sens – de son énonciation échappe, lui, radicalement, dans la singularité de sa concrétude, à la reproduction à l’identique : dès lors que le dire est en jeu, le même du « re » se déplace vers de l’autre.
Ce fonctionnement du « langage en contexte » s’exerce de façon privilégiée dans le champ de la « représentation du discours autre » (RDA), ou « discours rapporté », caractérisable comme articulation – métalangagière – de deux actes d’énonciation : l’un, en cours, effectif, A dont l’énoncé E, produit dans un Contexte donné (co-énonciateurs L-R, temps, lieu, infinité de données…), représente (« parle de ») un acte a, distinct de A, réel ou fictif, constitué par un énoncé e, produit dans son contexte (co-énonciateurs l-r, temps, lieu, infinité de données…).
Tout énoncé E de RDA met donc en jeu deux contextes de statuts différents : celui C,factuel, de son énonciation, dans lequel il se produit et trouve son sens ; celui, c, de e(a) qui n’y apparaît qu’à travers la représentation qu’en donne E. Ainsi, fût-elle reproduite à l’identique dans une forme de RDA comme le DD qui, par l’autonymie, permet (mais n’implique pas) une reproduction littérale, une chaîne « e » est soumise, dans le E(A) où elle se trouve mentionnée, à une double recontextualisation : 1) par représentation, verbale, et nécessairement sélective, du contexte de son énonciation en a, 2) par déplacement, de fait, dans le Contexte autre, verbal et non verbal, de E qui en conditionne le sens.
A travers des exemples de « DD littéraux » empruntés à des discursivités variées (conversations, textes médiatiques, écrits théoriques, littéraires…) on tentera de faire apparaître quelques uns des « agencements » entre « contexte représenté » (celui de e représenté en E) et Contexte d’accueil (celui de E, où « e » se trouve « déplacé »), selon lesquels, avec des enjeux politiques, idéologiques, théoriques, rhétoriques, esthétiques, subjectifs, le sens d’énoncés se donnant comme restitution transparente d’un élément inchangé, est mis en mouvement dans cette dynamique de la double recontextualisation.
On parcourra notamment des figures de recontextualisation caractérisables en termes (a) de pondération ou de prégnance relative des contextes représentés/d’accueil, (b) de similitude entre les deux plans :
(a) – insistance voire emphase vs faiblesse de la représentation de contexte ; faiblesse-défaut livrant l’énoncé à l’emprise perturbatrice d’un Contexte d’accueil ou faiblesse-créative libérant les énoncés de leurs attaches contextuelles ; force – ou violence – notamment générique du Contexte d’accueil ;
(b) – effet conjugués des deux contextualisations ; effet de miroir entre les deux contextes permettant que le « e » de mention de parole de l à r, en a, se redouble, indirectement, d’un e dit par L à R.
Autant de cas qui – montrant l’emprise sur le sens de l’élément cité – questionnent la conception du DD où L « cède la parole » à l… L qui, certes, « s’irresponsabilise » par un « je cite » le temps du « e », est pleinement l’énonciateur de E et, en E, de l’autonyme « e », et partie prenante dans les aventures du sens qu’il connaît.
Eléments bibliographiques
Authier-Revuz J. (2001), « Le discours rapporté », dans R. Tomassone (éd.), Une Langue : le français, Hachette, coll. Grands Repères culturels, p. 192-201.
Authier-Revuz J. (2003), « Le Fait autonymique : Langage, Langue, Discours – Quelques repères », in Authier-Revuz J., Doury M., Reboul-Touré S. (eds.), Parler des mots – Le fait autonymique en discours, PSN, Paris, p. 67-95.
Authier-Revuz J. (2004), « La représentation du discours autre : un champ multiplement hétérogène », in López-Muñoz J.-M., Marnette S., Rosier L. (eds), Le discours rapporté dans tous ses états : question de frontières, L’Harmattan, Paris, p. 35-53.
Tuomarla U. (2000), La Citation mode d’emploi, Sur le fonctionnement discursif du discours rapporté direct, Academia Scientiarum Fennicæ, Helsinki, 249 p.
La construction du discours rapporté en japonais se constitue d’une proposition citative accolée à la particule "to", marqueur du discours rapporté que l’on appelle "to" citatif et d’un verbe de communication. Cette forme canonique paraît, à première vue, correspondre à celle du discours indirect en français. Mais cette ressemblance est trompeuse. L’énoncé (1), par exemple, peut avoir deux traductions françaises : l’une correspondant au discours direct et l’autre au discours indirect. Moins canonique mais tout aussi fréquente que cette forme-là, la proposition citative accolée à "to" citatif peut être suivie d’un verbe qui n’est pas un verbe de communication, comme en (2) où l’énonciateur cité n’est pas pour le moment identifié. Quant à l’oral, la proposition citative peut n’être suivie d’aucun verbe, comme en (3) où le l’énonciateur prend de la distance par rapport à sa propre énonciation.
(1) Taro wa kimi ga suki da to itta.
--- TH toi SUJ aimer COP to dire.ACC
(a) Taro a dit : ''Je t'aime'' ; (b) Taro a dit qu'il t'aimait.
(2) 「Gomenkudasai」to doa ga aita.
bonjour to porte SUJ s'ouvrir.ACC
(traduction littérale) "Bonjour" La porte s'est ouverte.
(3) Sate, sorosoro oitomashi mashot-to.
bon bientôt se-retirer COP-POL.VOL.to
Bon, permettez-moi de me retirer.
Le discours rapporté en japonais recèle de nombreux phénomènes qui ne trouvent pas d’équivalents en français. Est-ce que l’on peut les appréhender avec des critères habituels du discours rapporté comme la distinction entre discours direct et indirect ?
Cette communication tiendra compte de la diversité des faits linguistiques concernant l’introduction d’un énoncé à l’intérieur d’un autre, au moyen de "to" citatif, afin de mettre en lumière le fonctionnement du discours rapporté en japonais.
Eléments bibliographiques :
Yoshiko Suto (2008), Une forme d'auto-objectivation - Étude du discours rapporté en japonais : analyse de to, iu et to iu, Thèse soutenue à l’Université de Franche-Comté.