Comparer des données issues d’un même genre de discours (interview de presse, courrier électronique, etc.) produit dans des langues et des cultures différentes – en l’occurrence, le français et le japonais – implique, préalablement à l’analyse, la nécessité de conduire une réflexion sur la nature des outils théoriques et méthodologiques à mobiliser pour mener à bien ses objectifs de recherche.
Plus précisément, la démarche consiste à interroger les cadres théoriques à disposition dans les communautés ethno-linguistiques engagées dans l’étude pour en mesurer le degré de pertinence au regard du projet comparatif et construire un dispositif d’analyse s’accordant aux buts fixés. Le choix des catégories d’analyse obéit à la même logique. Leur mise en évidence doit s’effectuer non à partir de phénomènes caractéristiques d’un des idiomes, mais en fonction des spécificités des deux langues et cultures contrastées. Aussi, qu’elles soient méta-cognitives, énonciatives ou pragmatiques, les catégories retenues sont à accorder aux données soumises à la comparaison.
Ces orientations sont celles adoptées dans cet exposé qui partira de la notion de genre de discours pour éclairer la place de cette entrée en comparaison et rendre compte de son rôle de tertium comparationis ou invariant de la comparaison. Il s’en suivra une illustration de la démarche privilégiée à travers la présentation de la façon dont s’est élaborée la notion métacognitive de “figure” pour analyser l’interview de presse, et du cheminement emprunté pour étudier la politesse dans le genre “courrier électronique”.
Quelques titres en lien avec la présentation (disponibles en ligne) :
Claudel, Ch. (2004) : « La notion de figure : propositions méthodologiques pour une approche comparée du genre interview de presse en français et en japonais », Tranel, n°40, Genève, 27-45. <http://doc.rero.ch/record/19075>
Claudel, Ch. (2010) : « Les pratiques journalistiques en France et au Japon : points de rencontre et divergences », Communication & Langages, n°164, 13-31. doi:10.4074/S0336150010012020. http://www.necplus.eu/action/displayAbstract?fromPage=online&aid=2430816
Claudel, Ch. (2015): “Apologies and thanks in french and japanese personal emails: a comparison of politeness pratices”, Russia Journal of Linguistics, Special Issue: Intercultural Communication: Theory and Practice, vol. 23, n° 4, 127-145. <http://cyberleninka.ru/article/n/apologies-and-thanks-in-french-and-japanese-personal-emails-a-comparison-of-politeness>
Claudel, Ch. et Tréguer-Felten, G. (2006) : « Rendre compte d’analyses comparatives sur des corpus issus de langues/cultures éloignées », Carnets du Cediscor, n°9, Paris, Presse de la Sorbonne Nouvelle, 23-37. < https://cediscor.revues.org/121>
Tout au long d’un échange communicatif, le locuteur appelle l’attention de son partenaire à travers des « captateurs » ou phatiques comme « tu vois », « hein », « n’est-ce pas », des procédés comme la variation du ton de la voix et la reformulation, ou des marqueurs non verbaux comme le mouvement du corps ou le regard (Kerbrat-Orecchioni, 1990 ; Traverso, 2007). De son côté, l’allocutaire doit utiliser des signaux d’écoute pour contribuer à l’avancement de l’interaction (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 18). Ces signaux, appelés régulateurs discursifs, peuvent être réalisés verbalement à travers des morphèmes exclamatifs comme « oui », « ah bon » ou des reformulations, ou encore paraverbalement à travers le regard, le sourire, le hochement de tête, ou des formes comme « mmh » (ibid.). En fonction de la réaction de l’allocutaire, le locuteur peut décider comment poursuivre la conversation : il peut continuer son discours, le reformuler si l’auditeur n’a pas bien saisi les informations, ou l’interrompre si aucun intérêt n’a été montré.
L’objet de notre recherche concerne les régulateurs discursifs japonais, autrement appelés aizuchi. Le concept d’aizuchiest fortement ancré dans la culture japonaise (Horiguchi, 1997) : en effet, ce terme se rencontre dans des livres et des journaux, s’entend dans les conversations quotidiennes et est étudié par de nombreux linguistes. Plusieurs recherches ont montré qu’en japonais, les aizuchi se vérifient avec une occurrence plus élevée que les régulateurs discursifs des langues comme l’anglais par exemple (Clancy et al., 1986 ; Ohama, 1986 ; Maynard, 1989).
Dans cette intervention, nous présenterons les caractéristiques générales des régulateurs discursifs, puis celles des régulateurs japonais. On analysera certains des marqueurs concernés d’un point de vue sémantique, syntaxique et fonctionnel. À travers cette analyse, on essaiera de comprendre quels problèmes peut générer la non-maîtrise des aizuchi pour un apprenant français qui n’a pas été sensibilisé à leur emploi.