default Présentation B. Laks 16-10-2012

Par 72 téléchargements

Télécharger (pdf)

Présentation B. Laks.pdf

Pourquoi y-a-t-il de la variation plutôt que rien ?

Dans l’histoire de la linguistique, la question de l’homogénéité des données et donc de la variation apparaît comme l’une des plus centrale. Jusqu’à une période récente elle a été particulièrement négligée, sauf dans le cadre de la linguistique variationniste labovienne.

Nous présentons d’abord une analyse historique de la question des données en linguistique. Depuis les grammairiens grecs et latins jusqu’à nos jours, deux grands type d’approches peuvent être distinguées : les linguistique de l’exemplum prennent en compte des données construites ou collectées comme des exemples typiques. Toute dimension d’hétérogénéité ou de variation en est exclue par construction. Les linguistiques du datum au contraire s’appuient sur des recollections de faits linguistes et d’usages attestés. Elles peuvent incorporer l’hétérogénéité des usages et la variabilité intrinsèque des formes. Nous examinons alors l’opposition exemplum/datum pour ce qui concerne les linguistiques modernes.

Le paradigme structuraliste se range dans les linguistiques du datum. Si le traitement de la variation systémique ne lui est pas nécessairement lié, il peut lui être associé. Au contraire, le paradigme générativiste est de type exemplum et exclut par définition toute variation systémique. Nous montrons que ces deux grands types d’approches restent actifs dans les linguistiques les plus contemporaines.

Si la linguistique chomskyenne fut longtemps dominante tout au long du 20ème siècle, il n’en est plus de même au 21ème. Le mouvement s’inverse avec l’apparition et le développement des linguistiques basées sur l’usage. La question de la variation et de l’hétérogénéité systémique des usages linguistiques revient ainsi au premier plan des préoccupations descriptives et modélisatrices. Nous montrons comment chacun de ces deux courants s’adosse à un paradigme cognitif spécifique, celui du cognitivisme cartésien pour le programme minimaliste et la biolinguistique chomskyenne, celui du cognitivisme culturel néodarwinien pour la linguistique des usages.  Si l’universalisme du premier exclut par définition toute variation, le second au contraire est porté à conférer à la variation une importance capitale.

Les théories de l’apprentissage impliquées de chaque côté différent également avec l’approche de la grammaire universelle d’une part et les approches d’inférence statistique et de modélisation probabilistique de l’autre. Nous abordons également la question de la structure du lexique mental et du type de stockage impliqué par les approches, exemplum d’un côté, datum de l’autre.

En définitive, la prise en compte de l’hétérogénéité et la modélisation de la variation systémique apparaisent comme un révélateur très puissant des différences et divergences qui s’éparent les linguistiques contemporaines. La source de cette divergence découle de deux conception opposées des communautés linguistiques, des sujets parlants et en définitive de la langue elle-même. La fonction de communication interpersonnelle et la notion de communauté régulée par des normes culturelles, linguistiques et sociales d’un côté, l’universalisme abstrait, la construction d’un sujet idéal et la prise en compte de données épurées de l’autre sont impliqués dans des conceptions antithétiques..

La question de la variation apparaît ainsi comme le lieu où se nouent les problématiques les plus contemporaines. En montrant comment son intégration aux systèmes linguistiques et culturels humains est nécessaire, nous soulignons que la prise en compte systémique de l’hétérogénéité apparaît comme une condition du développement de la linguistique. Nous en revenons ainsi à la leçon d’Uriel Weinrecih qui, il y a plus de cinquante ans, défendait déjà que la rupture du lien entre structure et invariance, système et homogénéité, constituait une condition sine qua none de l’avancement de la linguistique.

Si la variation apparaît au cœur même de tous les systèmes cognitifs et culturels humains, c’est parce qu’elle est cognitivement structurante et conditionne la construction des systèmes symboliques et linguistiques. C’est pourquoi on peut défendre, à nouveau avec Weinreich que c’est son absence qui rendrait la construction de ces systèmes impossibles.