Savoir parler, savoir communiquer, un enjeu sociétal : diversité des accès, atypie et pathologie du langage
Dirigée par Christiane Préneron
1. Noms des membres de l’opération
Caroline Bogliotti, Natacha Espinosa, Maria Kihlstedt, Marie Kugler-Lambert, Anne Lacheret, Léda Mansour, Colette Noyau, Christophe Parisse, Sophie de Pontonx, Christiane Préneron
2. Noms des doctorant(e)s de l’opération
Gaïd Prigent (Dir. Christophe Parisse, cotutelle Liège), Oumar Lingani,Tony Onguene Mete, Zakaria Nounta, Inoussa Guiré
3. Partenariats
3.1. Collaborations
Collaborations nationales :
UPPEA : Unité de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, CH Sainte-Anne, 75014, Paris, - LURCO : Laboratoire UNADREO de recherche en orthophonie, , - Laboratoire SFL, CNRS UMFR7023, Laboratoire LIDILEM, - EA 4509 Sens Textes Informatique Histoire, Paris-Sorbonne, - Fédération Clesthia, Université Paris 3, - Equipe Langage, Cognition et Développement de l’UMR 7023, SFL – CNRS et Paris VIII : Structures formelles du langage.
Collaborations internationales :
ULg - Département de Psychologie : Unité Cognition & Développement, Université catholique de Louvain, Belgique, Unité de Logopédie Clinique, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation, Université de Liège ; - Center for Languages and Literature, Lund University et Départment de logopédie, phoniatrie et audiologie, Hôpital universitaire de Lund, Suède, Suède ; - Equipe « Acquisition » du département des Langues et Littérature (Sprâk och Litteraturcentrum), université de Lund, Suède,- Department of Logopedics, Phoniatrics and Audiology, Lund University Hospital - UER d'orthophonie, Université de Neuchâtel : Geneviève De Weck, Stefano Rezzonicco.
3.2. Collaborations contractualisées
- Test Narracom, accepté par les ECPA, étalonnage : 100 enfants en difficulté, 200 enfants tout-venant, 2 supports : 600 récits ;
- Projet de Guidance infantile : la guidance parentale : un outil pour soutenir le développement langagier projet interuniversitaire ULg-UCL, promotrice : Christelle Maillart.
4. Description scientifique de l’opération
4.1. Projet scientifique
Le champ de l’observable : d’autres voies que la « voie moyenne »
Si l’acquisition du langage peut prendre place dans un environnement adoptant la forme d’une « voie moyenne », celle des enfants tout-venant (qui seront ici également considérés à la fois per se et comme base de référence), nombreux sont les parcours qui diffèrent de cette voix « normale » en fonction de l’accès initial au langage, tout d’abord, de la multiplicité des contextes succédant à cet accès initial ensuite. Or, les spécificités ou les difficultés langagières associées à ces parcours « hors norme » ont un impact considérable sur la socialisation des enfants concernés que ce soit en termes de socialisation primaire, transmise à l’enfant dès son plus jeune âge et donnant de ce fait un rôle essentiel à la famille mais également aux structures d’accueil des jeunes enfants, ou secondaire s'inscrivant tout au long de la vie dans le champ de la scolarité et de la professionnalisation. S’ancrant ainsi dans une linguistique située où l’enfant procède du social à l’individuel, nos approches considèrent que tout parcours d’acquisition du langage se fait dans un contexte particulier, unique et différent de tous les autres (qu’il s’agisse de facteurs endogènes, propres à l’enfant considéré qui peut souffrir d’une privation sensorielle, de troubles du langage, de difficultés d’apprentissage…) et / ou exogènes (milieu socio-culturel et / ou familial, environnement géographique, environnement linguistique (bilingue ou multilingue), chaque parcours de développement se déroulant dans sa singularité.
Les travaux de cette opération s’appliqueront ainsi sur un vaste éventail, de l’atypie aux dysfonctionnements, allant des enfants sourds dont la progression dans le langage s’effectue aussi différemment selon la (les) modalité(s)utilisée(s) (modalité gestuelle, multimodalité, vocale - appareillés, implantés cochléaires) aux enfants bilingues ou en situation de multilinguisme, avec ici également des contextes très variables (bilinguisme simultané, successif, statut de la langue majoritaire et minoritaire, capacité variable ou similaire selon la langue), et aux enfants souffrant de troubles du langage et / ou d’apprentissage, population où interviennent également des facteurs environnementaux et sociétaux favorables ou à l’inverse défavorables à l’acquisition et au bon déroulement du langage chez l’enfant.
Sans volonté d’exhaustivité aucune (l’éventail de l’atypie et des dysfonctionnements s’étendant bien au-delà des cas de figure recensés supra), nos analyses s’exerceront dans les 4 contextes suivants, correspondant à 4 groupes de travail :
- les troubles du langage ;
- les troubles d’apprentissage ;
- le langage des enfants sourds ;
- le bilinguisme / plurilinguisme.
Ces champs d’observables sont directement reliés au monde de l’éducation ou de la santé publique avec un enjeu de socialisation majeur associé à des impacts socio-économiques d’importance.
Un premier axe concernera l’activité d’expertise de ces observables dans une .perspective langagière et interactionniste. Pour une part des enfants présentant des troubles du langage, les symptômes sont linguistiques, pouvant affecter, dans la structure de la langue, les niveaux articulatoire, phonologique, prosodique, morphosyntaxique, lexical et sémantique. Pour une autre part, les symptômes vont concerner la dimension langagière, en désignant ainsi la réalité des enchaînements inter-énoncés dont la maîtrise implique un dosage subtil de la relation au discours et à l’interlocuteur. Ici, ce n’est plus tel ou tel niveau linguistique qui est concerné mais l’usage du langage dans sa dimension communicationnelle. Chez certains sujets, c’est à ces deux niveaux que le discours défaille (Préneron & Lambert-Kugler, 2010 ; Kugler-Lambert & Préneron, 2010). Nos analyses s’inscrivent aussi dans une conception dynamique de l’interaction en concevant l’existence de styles interactifs, styles qui se définissent par les façons d’enchaîner un énoncé sur un autre dans une relation de soi à soi ou de soi à autrui. Le style interactif se caractérise, même à l’oral, par des « significations dessinées » (François, 2006), par une façon spécifique de parler, qu’il s’agisse de l’utilisation de certaines formes linguistiques ou de certaines façons d’enchaîner sur soi ou sur l’autre.
Dans l’observable constitué par les corpus oraux recueillis en contexte expérimental ou naturel, nos recherches qui seront productrices de ressources (corpus et bases de données) s’efforceront, d’une part, de mettre en évidence la spécificité du déroulement de parcours atypiques, d’autre part, de caractériser linguistiquement les défaillances lorsque le développement du langage achoppe. Ces caractérisations se feront au regard des processus évolutifs de l'établissement du langage lors de son développement habituel. On s’attachera donc à décrire l’architecture structurelle et signifiante du fonctionnement langagier définissant chaque développement atypique et / ou troublé sur un éventail allant des plus petites unités aux plus grandes, des outils constitutifs de l’énoncé aux modes d’enchaînement de ces énoncés dans le discours, des structures formelles de la langue à leur ancrage dans la situation d’énonciation aux différents plans de l’intersubjectivité.
Ces travaux d’évaluation s’inscriront par ailleurs dans une approche interdisciplinaire participant de deux interfaces qui pourront s’enrichir l’une l’autre, ceci à plusieurs sens du terme.
Sur un deuxième axe en resituant le langage de ces sujets dans leur entourage cognitif, subjectif et langagier, on resituera les atypies du langage ou les embarras de la compétence communicative dans la psychologie du développement :
Troubles du langage : qu’en est-il du hors langage ? Les troubles présentés par les enfants dysphasiques sont à l’heure actuelle au cœur d’un puissant débat théorique. Si les auteurs s’accordent sur un certain nombre d’observations empiriques concernant la nature des difficultés observées, ils s’opposent toujours quant à l’origine de ces troubles. Ainsi, il est aujourd’hui largement admis que la capacité à traiter et maintenir en mémoire des séquences, à détecter et apprendre des régularités, est un pré-requis nécessaire à l’acquisition du langage et joue notamment un rôle dans son développement phonologique, lexical et morphosyntaxique (Gomez & Reason, 2002 ; Graf-Estes, Evans & Else-Quest, 2007 ; Saffran, 2003). Dès lors, envisager que les difficultés langagières rencontrées par les enfants dysphasiques pourraient résulter d’un déficit dans cette habilité à détecter les propriétés statistiques (régularités) de l’input semble une source prometteuse à exploiter. C’est une dimension qui sera intégrée aux projets situés dans ce champ.
Troubles des apprentissages : qu’en est-il de la position subjective des apprenants ? C’est la question que nous poserons aux productions discursives de sujets souffrant de troubles d’apprentissage à l’instar d’auteurs comme Bernard Gibello (1984,1995) selon qui les connaissances concernant le développement cognitif de l’enfant mettent en évidence l’existence de liens étroits entre construction psychique, construction affective et troubles de l’apprentissage chez l’enfant, ou encore de Bergès-Bounes & Forget (2010) qui montrent bien comment la singularité des places de ces sujets est étroitement liée au fait d’être écartelés entre des logiques radicalement différentes et suscite en eux des tensions décelables dans leurs comportements langagiers.
Sourds : LSF, oralité, multimodalité ? Quelle langue de communication ? C’est ici le choix de la langue de communication qui constitue l’entourage premier de l’enfant sourd. Or, ce choix a des conséquences langagières et cognitives fondamentales sur le développement psychosocial de l’enfant sourd. À ce choix sont en effet associés des styles éducatifs spécifiques mais aussi chez les parents d’enfants sourds des styles interactifs très différenciés dans leurs échanges verbaux avec leurs enfants, styles interactifs qui ne sont pas sans conséquence sur leur développement cognitif et langagier. L’évaluation du langage de ces enfants sera ici faite en regard de cet entourage premier et constituant.
Bilinguisme : quel bilinguisme ? Si de nombreux outils existent déjà pour les enfants monolingues, le champ du bilinguisme, qui concerne, pourtant, un nombre croissant d’enfants (un enfant sur 4 en région parisienne) reste encore assez peu exploré malgré l’enjeu majeur qu’il représente. Cet enjeu appelle des recherches accrues tant sur le plan théorique que sur la pratique du terrain : qu’il s’agisse de la période critique d’apprentissage, de la relation entre langue de la maison et langue de l’école ou encore de la question de l’âge critique, d’un bilinguisme simultané ou successif, enfin de la variation inter-langues.
Pour autant, les difficultés que peut rencontrer l'enfant dans son acquisition, bien souvent, ne relèvent pas d'un « dysfonctionnement » (qui nécessiterait une prise en charge « médicale ») mais elles sont les traces d'un apprentissage qui n'est pas stabilisé, d'un fonctionnement non encore assuré, bref d'un processus « normal » de développement que l'enseignant doit pouvoir cibler pour aider l'enfant à franchir les obstacles qu’il rencontre au cours de son apprentissage. Ainsi, les travaux sur les développements atypiques sont l’occasion de relancer un débat qui est loin d’être tranché, celui de la partition entre retard et trouble du langage, débat renouvelé dans la mesure où atypie et difficultés d’acquisition ne s’excluent pas nécessairement mais aussi parce que les changements sociétaux qu’accompagnent le développement accru du bilinguisme ou du plurilinguisme nous convient à une réévaluation du développement normotypique.
Troisième axe : dépistage, remédiation, guidance : ressources, outils, soutiens
De fait, la complexité et la diversité des difficultés rencontrées lorsque le langage de l'enfant défaille, engage chaque professionnel de l’enfance dans une quête d’outils de compréhension pour identifier la spécificité communicative de sujets au langage troublé ou en devenir. Une recherche articulant spécifiquement connaissances fondamentales et outils pédagogiques ou de remédiation, incluant une évaluation de leur efficience, permettrait une évolution plus adaptée des approches thérapeutiques. C’est le troisième objectif d’une telle opération.
Les spécificités ou les difficultés langagières associées à ces parcours « hors norme » ont un impact considérable sur la socialisation des enfants concernés que ce soit en termes de socialisation primaire, transmise à l’enfant dès son plus jeune âge et donnant de ce fait un rôle essentiel à la famille mais également aux structures d’accueil des jeunes enfants, ou secondaire s'inscrivant tout au long de la vie dans le champ de la scolarité et de la professionnalisation.
En aval, les nouvelles avancées apportées par l'expertise trouveront tout d’abord une efficacité dans le champ de la didactique, dans la formation et tout particulièrement dans des formations de Masters Professionnels spécialisés dans l’enseignement aux professionnels du soutien langagier (Master Diapason à Paris Ouest Nanterre La Défense) et de Masters spécialisés dans les enseignements pré-scolaires, scolaires et périscolaires (à Paris Descartes).
En utilisant une méthodologie qui associe dispositifs expérimentaux et outils cliniques (de diagnostic et de remédiation), cette approche conduira, également, à proposer outre des perspectives didactiques, des ajustements aux évaluations et aux prises en charge des praticiens voire à élaborer de nouveaux protocoles d’évaluation et de prise en charge, ouvrant ainsi nos recherches au domaine de la santé dans le cadre de l’orthophonie. Cette interface, qui a déjà été initiée par des projets collaboratifs (Le F-Larsp[1] et Subjela[2]), s'actualisera ainsi grâce à des partenariats multiples et un ancrage international, en particulier par une collaboration internationale contractualisée par un projet interuniversitaire entre logopèdes de l’ULg, l’UCL et chercheurs de MoDyCo et par un partenariat renouvelant une convention de recherche (2007 / 2011) pour une période de 4 ans (2011 / 2015) entre le CNRS, l’université Paris Ouest Nanterre La Défense et l’UPPEA de l’Hôpital Sainte-Anne à Paris. Cette articulation s’est appliquée jusqu’à présent essentiellement au contexte des troubles du langage et / ou des troubles d’apprentissage et nous souhaitons étendre cette synergie au champ de l’atypie où la séparation entre normal et pathologique demande à être redéfinie.
Sur l’ensemble de ces projets, ce positionnement interdisciplinaire nous permettra d’adopter une approche intégrative en mettant en évidence comment l’analyse de l’activité langagière du sujet, de ses fonctionnements et de ses dysfonctionnements, rétroagit en éclairant tout à la fois l’approche théorique et la pratique sur le terrain.
Notre souhait d’optimiser une synergie entre chercheurs et cliniciens se développera ainsi dans des projets d’ores et déjà en cours ou à mettre en place.
Le champ des troubles du langage :
Les difficultés langagières sont un facteur de risque connu pour la socialisation de l’enfant, entravant ce processus en engendrant des difficultés d’apprentissage, d’échecs scolaires voire d’analphabétisme ou d’illettrisme (Fey, Catts & Larrivee, 1995). Ainsi la prévention, l’évaluation et le traitement des difficultés langagières et communicatives constituent un souci partagé par les responsables de la santé publique (médecins, psychologues, assistants sociaux…) et de l’instruction publique, en France et dans l’ensemble de l’Europe. Une identification précoce des fragilités langagières et une intervention sont possibles et nécessaires si l’on veut favoriser une socialisation réussie.
De ce point de vue, l’émergence du langage sera considérée dès l’aube de son apparition avec une approche développementale de la prosodie chez le tout jeune enfant (3 à 6 mois) dans un projet soutenu par Anne Lacheret, Emmanuel Devouche, et Maya Gratier (Laboratoire Psychologie des acquisitions, du développement social et des interactions en contexte, PSYADIC, EA44331) : « L’expression des émotions prosodiques chez des bébés de 3 à 6 mois : expérience perceptive et analyse acoustique ». Dès les premiers mois de la vie, les productions vocales et les constructions prosodiques associées sont primordiales pour entrer dans la communication langagière alors que le matériel verbal (lexical et syntaxique) n’est pas en place. Ceci étant posé, nous formulons l’hypothèse suivante : dès la naissance, les vocalisations produites par le bébé renseignent très précisément sur son état émotionnel. En pratique, à l’expression des émotions et des désirs sont associés des schémas prosodiques mélodiques et rythmiques, qu’on appellera dorénavant contours prototypiques, caractérisables sur le plan acoustique (enveloppe mélodique et temporelle) mais également en termes de saillance perceptive. Ces prototypes donnent des informations de nature catégorielle relativement génériques (émotion positive vs négative) mais aussi peut-être plus spécifiques (sur la nature d’une émotion : voir par exemple parmi les émotions négatives la différence entre prosodie de la colère et de la douleur chez l’enfant) et certainement sur l’intensité de l’émotion ressentie. Le bébé, très précocement, avant même d’être entré dans un babillage structuré et organisé, est un véritable petit expert qui sait manipuler ces différentes formes pour communiquer ses sentiments et désirs, bref ses émotions. Pour l’adulte, il s’agit là de véritables signaux expressifs qui lui permettent d’inférer sur l’état émotionnel de l’enfant. Dans ce travail, il s’agit de voir si des signaux pourtant produits en interaction ont été perçus comme non communicatifs et permettraient de déceler des atypies prosodiques précoces, i.e. des enfants qui communiquent mal leurs émotions, en particulier ceux qui justement interagissent avec des mamans borderline (dépressives, bipolaires, etc.). Reste à référencer précisément ces prototypes prosodiques émotionnels de la communication préverbale en sachant qu’aucun modèle n’existe à l’heure actuelle pour la communication préverbale en français.
Dans le contexte de la dysphasie, Christophe Parisse et Gaïd Prigent travailleront sur la mise au point d’outils capables d’évaluer le développement syntaxique au-delà de l’âge de 3 ans. Il s’agit d’adapter au français l’outil de dépistage de difficultés syntaxiques, outil créé par David Crystal : The LARSP (Language Assessment, Remediation and Screening Procedure) (Crystal et al., 1976), outil couramment utilisé par les chercheurs et cliniciens anglophones et qui constitue une référence dans l’analyse morphologique et syntaxique du langage spontané de l’enfant. Par ailleurs, cette problématique permet de joindre la recherche fondamentale (qu’est-ce que la syntaxe de l’oral ? comment peut-on la quantifier ?) et ses applications pratiques (diagnostic et appariement de populations en fonction de leur production langagière pour les travaux de psycholinguistique).
Concernant des enfants de 18 à 36 mois, Christelle Maillart et Christophe Parisse ont engagé un projet de guidance parentale sur le soutien langagier à apporter aux enfants au langage troublé mais également à leurs parents. S’ils sont fréquents en Amérique du Nord et aux États-Unis, les programmes d’intervention indirecte (via les parents et non un logopède) sont encore très marginaux en Europe. Or, l’expérience menée de 2005 à 2008 par Michel Zorman et al. (2011), « Parler Bambin »[3], auprès d’enfants de 18 à 30 mois en crèche montre l’efficacité de la stimulation langagière sur les enfants ainsi que sur les professionnels qui constatent eux-mêmes des modifications de leurs pratiques quotidiennes. L’étude de Roberts & Kaiser, 2011, confirme l’efficacité d’une telle guidance (par interactions implémentées) sur le développement du langage expressif et réceptif. Correspondant à un besoin réel, ce projet de guidance parentale proposé par une collaboration internationale contractualisée par un projet interuniversitaire entre logopèdes de l’ULg, l’UCL et chercheurs de MoDyCo (« La guidance parentale : un outil pour soutenir le développement langagier ») poursuivra ainsi deux objectifs principaux :
1- favoriser le dépistage précoce des signes de retard langagier afin d’identifier le plus précisément possible les enfants devant bénéficier d’un soutien langagier, ceci à partir :
- des caractéristiques langagières de l’enfant mais aussi de la qualité de l’interaction communicative parent / enfant (dépistage effectué avec outils basés sur les productions de l’enfant directement observées ou rapportées par les parents (Kern, 2004 et les nombreuses adaptations du « MacArthur Communicative Development inventories » dont l’adaptation par Kern & Gayraud, 2010)
- mais aussi de la qualité des interactions parents / enfants.
2 - concevoir un programme de stimulation langagière basé sur la guidance parentale. Le protocole adopté, les outils d’animation et les techniques utilisés dans ce programme seront sélectionnées afin de répondre le plus adéquatement possible aux caractéristiques des populations cibles dans les consultations d’enfants sachant que la guidance parentale est un travail qui s’inscrit dans le temps : si les principes paraissent simples à appliquer, les parents ont souvent besoin de temps pour les intégrer et les appliquer régulièrement. Cette expérience participe d’un nouveau paradigme dans le soutien langagier, démontrant l’efficacité des recherches sur l’input et donc des Sciences du Langage dans le secteur de la santé publique.
Les troubles d’apprentissage :
Par troubles spécifiques des apprentissages (lecture, écriture, mathématiques), on désigne l’ensemble des difficultés rencontrées par des enfants dans l’acquisition des compétences scolaires de base, difficultés suffisamment importantes pour mettre en cause la poursuite de la scolarité dès le cycle primaire. Ces troubles sont plus souvent décrits comme participant d’un ensemble de difficultés apparaissant dans des syndromes que comme des troubles isolés. Ainsi troubles de l’apprentissage des mathématiques et troubles d’apprentissage de la lecture sont fréquemment mis en relation. Dans cette opération, le projet Subjela concerne l’évaluation du langage oral d’enfants souffrant de tels troubles. Comme nous l’a rappelé le rapport INSERM et la controverse qu’il a suscitée dans laquelle il n’est pas ici lieu d’entrer, l’ampleur des troubles sévères des apprentissages est telle que les enfants et les adolescents qui sont concernés par une telle situation sont aussi nombreux que l’ensemble de ceux qui souffrent de tous les autres handicaps (Rapport de l’association Coridys, 2005). Les Pouvoirs publics ont décidé de rendre obligatoire le repérage et le dépistage des enfants à risque, sur ce plan des apprentissages — comme l’indique le rapport de la commission d’experts réunis sur ces thèmes : « Recommandations sur les Outils de Repérage, Dépistage et Diagnostic à Usage des Professionnels de l’Enfance », (Commission Interministérielle, L. Vallée et G. Dellatolas, 2005) — et de confier la coordination des mesures à proposer à des Centres référents, articulés à des réseaux. C’est dans ce contexte que l’Unité de Psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent du Centre Hospitalier Sainte-Anne à Paris où, dans le cadre de l’action précitée nous conduisons le recueil des données, a été désignée « Centre Référent pour les troubles d’apprentissage de la lecture ». Le plus souvent, ce sont les structures scolaires qui dirigent les enfants en difficulté vers cette consultation et la recherche mise en place dans le cadre du projet Subjela permet, à partir d’une collaboration entre spécialistes des Sciences du Langage et professionnels de la remédiation (actualisée par une convention de recherche entre cette unité, le laboratoire MoDyCo et le CNRS), la création d’outils et d’interventions favorisant les modalités de leur prise en charge. Dans le cadre des troubles d’apprentissage, on poursuivra le projet Subjela.
L’hypothèse centrale de ce projet réside dans l’interrogation que nous souhaitons mener du maniement du langage oral par des enfants présentant des troubles d’apprentissage contrastés (lecture vs mathématiques) et consultant de ce fait l’UPPEA de l’Hôpital Sainte-Anne à Paris, ceci afin d’établir si chaque groupe, avec des variations individuelles probables, peut néanmoins se caractériser par un profil particulier et lequel. La notion de profil de sujet langagier est à considérer dans sa complexité et son hétérogénéité comme un ensemble, une constellation de façons d’être, de raconter et d’interagir langagièrement qui présente des caractéristiques communes ou analogues ou à l’inverse opposées du point de vue de la subjectivité langagière dans des conduites et des situations diversifiées.
De premiers résultats ont permis de constater des caractéristiques langagières différenciées selon que l’enfant présente des troubles d’acquisition de la lecture ou du calcul dans le cadre de l’activité narrative proposée dans le protocole du bilan de langage de la consultation. Les récits d’enfants en difficulté de lecture se caractérisent par un effacement de la subjectivité langagière alors que ceux d’enfants en difficulté en mathématiques présentent au contraire un « trop plein » presque envahissant de cette énonciation de la subjectivité. Il s’agit donc d’une part d’affiner cette hypothèse en précisant à quels plans du discours et de l’énonciation (structure de figuration, structure actancielle, structure de dramatisation) cet effacement ou cet envahissement s’observent et à quel degré, d’autre part, de soutenir cette interrogation par une mise en perspective entre une activité narrative et encadrée par un protocole commun (incluant la passation du test du Rorschach) et une situation d’entretien, entretien de synthèse entre l’enfant, les parents et le médecin qui propose ou conseille une remédiation.
Un autre pan de la recherche a en effet pour objectif d’étudier la façon dont les deux types d’enfants mettent en mots (ou non) leur subjectivité, lorsqu’ils se présentent eux-mêmes, se racontent ou se justifient, argumentent à propos de leurs actes, mais dans un autre type de situation langagière. Cette situation de recueil, liée aux précédentes, est celle où l’enfant est reçu par le médecin responsable, une fois réalisée la passation de l’ensemble du protocole cité précédemment. Il s’agira ainsi :
- d’une part, d’affirmer la « fiabilité » du protocole, puisque les résultats obtenus en situation expérimentale et naturelle se rejoindraient ;
- d’autre part, d’établir un « profil langagier» utile dans le diagnostic et la prise en charge thérapeutique du trouble de l’acquisition de la lecture ou du calcul, en faisant l’ hypothèse de l’efficacité (qui demande à être vérifiée) des modes d’intervention suivants : - utiliser davantage, dans une remédiation des difficultés d’acquisition de la lecture chez un enfant, le maniement par celui-ci d’outils linguistiques renvoyant à la subjectivité ; - utiliser davantage, dans une remédiation des difficultés d’acquisition des mathématiques, les procédés linguistiques renvoyant à une objectivation de la réalité, et à une distanciation des émotions.
Dans le cadre de ce projet Subjela, les résultats observés ont conduit à la proposition d’un test (NarraCom) accepté par les ECPA, permettant d’évaluer la capacité narrative de l’enfant dans la dynamique de son usage et d’apprécier ainsi sa compétence à plusieurs niveaux du fonctionnement linguistique. L’étalonnage du test (300 enfants) permettra par ailleurs de constituer une base de données de récits associée à une chronologie d’âges clefs, et ces ressources fondamentales serviront de base dans une collaboration institutionnelle avec les cliniciens de l’UPPEA de l’Hôpital Sainte-Anne à Paris pour la mise en place d’une situation spécifique d'entraînement au langage: la narration.
Par ailleurs, l’investissement des apprentissages et le développement des aptitudes linguistiques impliquent, pour un bon déroulement de cette acquisition, une articulation étroite avec le processus de socialisation et le processus de structuration psychique. De fait, les troubles du langage s’observent dans des émergences complexes. Produit, élaboré par des énonciateurs possédant une subjectivité et un fonctionnement émotionnel propres, le langage est « incarné » (« embodied »). Position subjective et assise émotionnelle interviennent dans tout apprentissage et, en cherchant à évaluer cette position dans la compétence orale d’enfants souffrant de troubles d’apprentissage dans le cadre d’une consultation hospitalière spécialisée, nous constatons en quoi ces caractéristiques de tout sujet parlant se manifestent dans la co-énonciation et plus particulièrement dans le savoir raconter. Sous-tendant l’ensemble de l’action Subjela en relation avec les professionnels de l’UPPEA de l’hôpital Sainte-Anne, la théorisation de l’inscription de la subjectivité dans le langage permet de prendre en compte à la fois les dimensions de l’affectivité et du point de vue. Le langage n’est pas distinct de ses utilisateurs qui peuvent imprimer à leur discours la marque de leur point de vue et de leur ressenti. C’est cette inscription dont nous cherchons à évaluer la présence en relation avec la notion de cohérence discursive ainsi qu’avec celle de style énonciatif et de façons d’interagir. En faisant l’hypothèse que les enfants venant consulter se placent différemment quant à leur position de sujet apprenant et discursif, selon l’objet d’apprentissage qui leur pose problème, nos travaux (Bergès-Bounes et al., 2010) s’inscriront dans une démarche psycholinguistique et de « santé » tout en alimentant la réflexion sur l’existence de profils langagiers. Cette position, décelable dans les mouvements d’ajustement co-énonciatifs, constitue un paramètre fondamental de l’intersubjectivité langagière.
La construction langagière chez l’enfant sourd :
Nous ne savons pas comment évaluer les compétences en langue des signes (LS) d’un enfant sourd. Comment savoir quel est le niveau de compréhension ou de production d’un enfant sourd ? Comment savoir quelle composante de la LS pose problème à un jeune locuteur sourd ? Comment s’adapter à ses compétences linguistiques ? L’absence d’outil d’évaluation des compétences en LSF est vraiment préjudiciable à la recherche française, particulièrement pour les recherches en psycholinguistique et en psychologie cognitive. Mais il est également préjudiciable pour tous les professionnels confrontés aux compétences langagières d’un enfant sourd : enseignants, éducateurs, orthophonistes, psychologues, etc.
Aussi, l’objectif de cette thématique est de créer un outil d’évaluation des compétences langagières en LSF, outil inexistant actuellement. Les enjeux sont pluriels : enjeu pratique d’une part, car il répond à une demande de nombreux professionnels (enseignants et praticiens) ; enjeu linguistique car il peut aider à une meilleure description linguistique de la LSF. Enfin, un enjeu scientifique car cet outil devrait nous permettre de mener à bien nos recherches. En effet, notre objectif principal est d’évaluer le trouble spécifique du langage oral en LSF, savoir le distinguer du retard de langage, et plus largement distinguer les incidences physiologiques des facteurs environnementaux et sociétaux sur les compétences langagières, les facteurs environnementaux étant plus que discriminants pour le seul accès à la langue signée.
Création d’un outil d’évaluation de la LSF
La question de l’évaluation de la LS et de ses implications éducatives et rééducatives n’est pas nouvelle. En 2006, la communauté scientifique s’est réunie à Zurich et a constaté ce besoin crucial d’outils (Exploratoy Workshop « Theorical and practical implications for the understanding of sign language acquisition and its consequence on sign language assessment », Zurich, 15-17 Septembre 2006, www.hfh.ch/webautor-data/79/esf_report.pdf).
De ce workshop, Haug a recensé tous les outils existants (http://www.signlang-assessment.info/). En plus de répondre à une demande précise des professionnels, des praticiens et des chercheurs, cette volonté de créer un outil s’inscrit dans un contexte psycholinguistique particulier : d’une part, elle peut permettre de combler des lacunes quant à la description des LS, mais elle permet aussi de prendre en compte des aspects spécifiques de constitution de population expérimentale, liée à l’hétérogénéité des populations à tester.
Aussi, en s’appuyant sur un état de l’art critique et exhaustif des outils existants dans d’autres LS, nous souhaitons créer un nouvel outil d’évaluation. Les relations étroites que nous entretenons avec le master FLDL parcours DIAPASON nous permettent de travailler en lien direct avec des professionnels et des praticiens, ce qui nous permet un accès direct au terrain. Cela nous permet également de faire un état de l’art de ce qui existe sur le terrain et pas uniquement dans la littérature scientifique.
La LSF dispose déjà d’un test d’évaluation, le TELSF, développé par Niederberger (Niederberger et al., 2001), adapté du TASL (Test of American Sign Language ; Prinz, Strong & Kuntze, 1994). Ce test a entre autres permis de démontrer la puissante corrélation entre les compétences en littéracie et les compétences en LS chez les enfants sourds signeurs. Mais cette batterie de tests, riche d’un point de vue de l’expérimentation linguistique en LSF, est un exemple frappant de l’importance d’une passation légère pour les professionnels prenant en charge les enfants sourds. En effet, la passation s’avère lourde en termes de temps et de matériel, et ne remplit donc pas les critères que nous nous fixons.
Comment évaluer les compétences en LSF ? Voici nos objectifs pratiques :
- Batterie balayant tous les niveaux linguistiques de la LSF. Nous chercherons à fournir une batterie complète, évaluant tous les niveaux linguistiques (phonologie, morphosyntaxe, lexique, pragmatique), en réception et en expression. Cela permettra ainsi une évaluation complète de la LSF chez les enfants sourds signeurs. Nous devons réfléchir à la manière dont on traite la multimodalité et le bilinguisme, étant donné que la majorité des enfants testés seront des enfants bilingues. L’âge de la population ciblée s’étendra de 3 à 14 ans (cycle I-II-III de l’école élémentaire, et cycle secondaire — collège)
- Passation courte et légère en termes d’outils, facile à coter. Maniement facile pour le professionnel sourd (qui lui même peut souffrir d’un problème avec le français écrit)
- Facilement informatisable
- Souci d’uniformisation des pratiques. L’un des objectifs est de recueillir des données de telle sorte qu’elles soient facilement échangeables, comme on le voit actuellement pour les nombreux outils d’évaluation langagière ou psychométrique spécifiques aux entendants.
Enfin, nous espérons que ce projet de test nous permettra d’évaluer les influences des différentes variables intervenant dans le développement du langage et d’autres capacités cognitives : interactions familiales, milieu social, milieu éducatif, etc.
Aussi, cette question de l’évaluation de la LSF est une question pertinente et émergente, tant pour la description de la LSF, que pour les études en acquisition du langage.
Évaluation des TSDL et caractérisation de ces troubles
Un point qui nous intéresse particulièrement est l’existence de troubles du langage oral en LSF. Il sera plus précisément question d’observer la manifestation des troubles du langage en LSF, de les évaluer et de les caractériser par rapport aux retards de langage. En effet, en raison de facteurs déjà cités (pas d’accès naturel au langage, acquisition plus ou moins tardive du langage, et souvent dans un contexte multilingue, etc.), les enfants sourds peuvent présenter des atypies langagières. Mais l’atypie langagière n’exclut pas le trouble spécifique, et il est temps de savoir distinguer le retard du trouble, autant que faire se peut. Ces recherches ne peuvent que participer à la meilleure compréhension des processus développementaux d’acquisition d’une langue signée et à la mise en évidence des unités linguistiques de ces langues. De plus, elles pourront sans doute nous en apprendre davantage sur les déficits fondamentaux propres aux troubles spécifiques du langage oral. Sont-ce les mêmes déficits qui sont constatés dans un trouble spécifique du langage oral en langue vocale et en langue signée ? Un trouble du langage en langue signée présente-t-il les mêmes caractéristiques qu’un trouble du langage en langue vocale ? L’équipe du DCAL (Deafness, Cognition And Language Research Center, Londres) a déjà plusieurs investigations en cours (Woll & Morgan, 2012 ; Mason et al., 2010 ; Morgan et al., 2007) et a constaté des troubles spécifiques en BSL. Aussi, avant de pouvoir évaluer les retards et troubles langagiers en LSF (et d’y remédier), la création de cet outil d’évaluation de la LSF s’avère indispensable.
Bilinguisme / Plurilinguisme :
Comme nous le rappelle Georges Lüdi (2008), « A l'aube du troisième millénaire, les sociétés européennes en général […] se voient confrontées à un double défi. D'une part, la globalisation dans tous les domaines engendre des besoins croissants en ce qui concerne les compétences en langues étrangères ; de l'autre, la mobilité accrue de la population active et des mouvements migratoires d'autres origines entraînent une présence massive d'alloglottes. » Les deux phénomènes engendrent des formes de bilinguisme enfantin avec d’une part un enseignement des langues étrangères de plus en plus précoce et d’autre part l'acquisition de la langue d'accueil en plus de la langue d'origine par des enfants migrants ». Ces processus ne sont pas sans soulever des questions. En effet, les chercheurs observent des rythmes et des niveaux d’acquisition très hétérogènes selon les enfants, selon les langues, selon les modalités d’acquisition (âge critique, bilinguisme simultané ou successif, relations inter-langues), ce qui pose le problème d’une politique d’apprentissage des langues à l’école et de la possibilité d’un soutien en cas de difficultés.
Or, si de nombreux outils existent déjà pour les enfants monolingues, le champ du bilinguisme, qui concerne donc pourtant un nombre croissant d’enfants (un enfant sur 4 en région parisienne), reste encore assez peu exploré en France malgré l’enjeu majeur qu’il représente, enjeu qui appelle des recherches accrues tant sur le plan théorique que sur la pratique du terrain : qu’il s’agisse de la période critique d’apprentissage, de la relation entre langue de la maison et langue de l’école ou encore de pouvoir faire la part, dans le langage de l’enfant, entre des embarras liés à un retard normal du développement dans le cadre de l’apprentissage d’une langue seconde et des manifestations d’un trouble d’acquisition.
Ces problématiques révèlent un besoin crucial d’information chez les formateurs et chez les praticiens. Elles sont aussi d’un intérêt particulier pour le Master « Dysfonctionnement du langage » (DIAPASON) qui est proposé au département de Sciences du Langage à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense. Ce Master est destiné à tous ceux qui rencontrent des enfants avec des difficultés langagières : orthophonistes en activité, formateurs des formateurs, professeurs des écoles. Les avancées des recherches dans ce domaine permettront de faire un diagnostic plus fiable des enfants en difficulté.
Dans cette opération, nous nous proposons de contribuer à étoffer les études dans ce domaine. Un projet se met en place avec la Suède pour répondre à ce besoin et permettre aux professionnels d’avoir accès à des évaluations sur les performances linguistiques d’enfants apprenant une langue seconde (dans ce contexte particulier, le français et l’arabe). Les premières observations du projet de l’université de Lund avec lequel l’université Paris Ouest Nanterre La Défense a une collaboration régulière sur le bilinguisme donnent à penser que les enfants issus d’un bilinguisme simultané ressemblent plus aux enfants monolingues, malgré un certain retard dans leur langue non dominante. Les enfants issus du bilinguisme successif manifestent initialement davantage de traits typiques de l’acquisition « L2 adulte » (voir Granfeldt et al. 2007), tout au moins pour des phénomènes morphologiques. Cette problématique, au centre de notre projet, évoque deux questions plus générales : celle de la séparation des deux langues chez les bilingues simultanés, ainsi que celle de l’âge critique pour l’acquisition d’une deuxième langue. Notre projet prend une forme interdisciplinaire : à partir de notre questionnement global sur le bilinguisme enfantin simultané et successif, nous examinons des problèmes linguistiques et cognitifs selon différentes méthodologies : formes verbales et fonctions exprimées par celles-ci au niveau de l’énoncé (étude 1), élargissant ensuite la perspective au niveau discursif et l’interface temps / espace (étude 2), pour finalement aborder les problèmes du lien entre bilinguisme et troubles spécifiques du langage (étude 3).
Il importe de souligner que les données ont été ou vont être recueillies auprès des mêmes enfants pour les trois volets. Le fait de disposer de données d’enfants issus du bilinguisme simultané et successif fréquentant le même établissement (le Lycée Français de Stockholm) et, donc, profitant d’un input commun, nous permet de mieux saisir la particularité de chacun des deux modes d’acquisition et de garder constante la variable « contexte d’acquisition ».
Étude 1: Temps et aspect dans le dialogue chez des enfants bilingues : perspective développementale. Nous nous focalisons ici sur les formes et fonctions exprimées par la morphologie temporelle, en nous posant les questions suivantes : les enfants issus du bilinguisme successif atteignent-ils le même niveau que leurs camarades monolingues en français? si oui, quand et pour quels phénomènes ? ou y a-t-il un seuil de « plafonnement » et / ou de « fossilisation » ? si oui, quand et pour quels phénomènes ? en quoi les enfants L2 ressemblent / se différencient-ils des enfants 2L1, des adultes L2 français, des enfants TSDL ?
Étude 2 : Productions contrôlées – l’interface temps / espace
Prenant comme point de départ les travaux de Hickmann et son équipe (voir par exemple Hickmann, 2003), nous avons effectué des analyses sur des narrations élicitées (l’histoire du chat, cf. par exemple Hickmann 2000) auprès d’enfants bilingues (de 8-9 ans). Il s’avère que la même progression dans la construction des récits apparaît chez les enfants bilingues mais avec environ deux ans de retard par rapport aux monolingues. Reste à savoir si ces résultats relèvent d’un simple retard ou d’une déviance fondamentale au cours du processus de l’acquisition monolingue et bilingue. À cette fin, des études sur un autre domaine que les relations temporelles sont en cours, à savoir l’expression de l’espace.
Il s’agira ici de déterminer de manière précise ce qui relève d’un développement cognitif universel et ce qui relève des marques spécifiques de la langue chez les enfants monolingues et les bilingues simultanés. Ce couple de langues (français / suédois) est d’autant plus intéressant qu’une des deux (le français) se caractérise par l’expression de la trajectoire du mouvement dans le verbe (verb-framed languages, voir Givon 2001), contrairement aux langues germaniques, comme le suédois, où la même information est exprimée dans un satellite verbal (satellite-framed languages, voir Talmy 1985). Les résultats pourront de manière plus pertinente contribuer à élucider le lien entre langue et pensée chez des enfants bilingues, et, par là même, permettre de créer des outils d’évaluation pour les praticiens rencontrant ce groupe d’enfants, d’ailleurs de plus en plus nombreux.
Étude 3: Enfants atypiques bilingues : enfants TSDL, bilinguisme vocal et sourd
Dans cette opération, on tentera de saisir la spécificité du développement enfantin atypique au sens plus large. Il s’agira de comparer le développement langagier des enfants tout-venant avec 1. des enfants issus du bilinguisme vocal et 2. des enfants issus du bilinguisme sourd (signeurs et / ou implantés) et 3. des enfants bilingues vocaux avec des enfants TSDL (enfants atteints de troubles du développement langagier, angl.SLI, Specific Language Impairment).
Peu exploré en France, contrairement à la situation scientifique en Suède, au Canada et aux États-Unis entre autres, l’enjeu de ce dernier axe sera alors de tenter de démarquer les comportements langagiers spécifiques des enfants bilingues des retards et / ou des dysfonctionnements des enfants monolingues atteints de troubles spécifiques de langage. À ces interrogations s’ajoute naturellement une quatrième problématique, celle des enfants bilingues atteints eux-mêmes de TSDL ; et la question de départager entre retard (delay) et déviance (deviance) dans ce groupe d’enfants (pour un résumé voir par exemple Salameh et al. 2004) fait l’objet de la mise en place d’un partenariat avec nos collègues du département de logopédie à l’hôpital universitaire de Lund, Suède.
Nous envisagerons également d’effectuer des expériences similaires à celles des enfants vocaux auprès des enfants sourds signeurs avec ou sans implant cochléaire. Cette situation particulière de bilinguisme (la langue des signes n’étant pas forcement la langue maternelle) n’a pas été suffisamment examinée en France, et les recherches avancées dans ce domaine à l’université de Lund seront une source d’inspiration et de collaboration importante.
Collaborations internationales : Kristina Hansson, Department of Logopedics, Phoniatrics and Audiology, Lund University Hospital
Fonctionnement :
Un séminaire mensuel permettra aux membres de l’opération et leurs collaborateurs et collaboratrices de confronter l’avancée de leurs recherches, de mettre en commun des résultats, d’étendre certains outils à de nouvelles populations d’enfants ainsi que de construire des projets communs en vue de publications et de manifestations.
4.2. Spécificités du projet scientifique
Premièrement, dans ces contextes de difficultés de la communication (et / ou de la langue) cette opération, procédant d’une linguistique située, interroge l’entourage langagier mais également cognitif et affectif où s’inscrivent les développements troublés afin de tenter d’éclairer la nature de ce qui fait obstacle au développement langagier de l’enfant.
Ensuite, les travaux sur les développements atypiques sont l’occasion de relancer le débat sur la partition entre retard et trouble du langage. Une première spécificité avec la perspective adoptée dans ce projet concerne en effet une redéfinition langagière des catégories du typique et du « normal », du « tout-venant » et de l’atypique, ainsi que de leurs frontières, d’une part parce qu’à l’intérieur de chaque catégorie, l’hétérogénéité est de mise, d’autre part parce que les troubles du langage ne sont pas nécessairement absents des parcours atypiques. Si le développement normotypique constitue toujours un référent par rapport auquel se profilent les développements atypiques, ce sont ces développements qui sont d’abord au centre de nos recherches. Nos observables relancent ainsi un débat qui est loin d’être tranché, celui de la partition entre trouble et retard de langage, débat renouvelé dans la mesure où atypie et difficultés d’acquisition ne s’excluent pas nécessairement mais aussi parce que les changements sociétaux qu’accompagnent le développement accru du bilinguisme ou du plurilinguisme nous convient à une réévaluation du développement normotypique.
Dans le contexte du bilinguisme, des enfants bilingues peuvent être atteints de TSDL, et la question de départager entre retard (delay) et déviance (deviance) dans ce groupe d’enfants fait l’objet de la mise en place d’un partenariat avec nos collègues du département de logopédie, à l’hôpital universitaire de Lund, Suède.
Par ailleurs, le bilinguisme est ici entendu au deux sens du terme, celui classique des enfants utilisant deux langues mais aussi celui des enfants sourds utilisant oralité et LSF. Une attention toute particulière, au travers de plusieurs recherches, sera accordée à la façon dont les enfants en jouent et à leur incidence sur les modalités de leur socialisation. Et, un point qui nous intéresse particulièrement est l’existence de troubles du langage oral en LSF. Il sera plus précisément question d’observer la manifestation des troubles du langage en LSF, de les évaluer et de les caractériser par rapport aux retards de langage. En effet, en raison de facteurs multiples (pas d’accès naturel au langage, acquisition plus ou moins tardive du langage, et souvent dans un contexte multilingue, etc.), les enfants sourds peuvent aussi présenter des atypies langagières.
Une troisième spécificité réside dans ce que l’on peut désigner par une recherche action : articuler activité d’expertise, formation, remédiation et prévention.
Et, tout en nourrissant rétroactivement de nos découvertes, la linguistique théorique, en particulier dans une perspective s’efforçant d’approfondir et d’enrichir ce qui constitue la dimension co-énonciative de la communication langagière, cette opération actualise une recherche action s’articulant aux domaines de la formation et de la remédiation dans un enjeu de socialisation.
Dans cette optique, plusieurs programmes de remédiation sont déjà en cours, d’autres en projet :
- celui d’un projet de guidance parentale dans le cadre d’une collaboration internationale. Les difficultés langagières entretiennent en effet un lien fort à la socialisation. Le développement langagier est étroitement dépendant des offres langagières qui sont faites à l’enfant par les adultes de son environnement. Un autre type d’intervention associant également linguistes et logopèdes sur le terrain concerne le soutien langagier de l’enfant associé à un programme de guidance parentale. Dans ces programmes dont certains ont déjà montré leur efficacité et dont l’un est donc présenté en annexe dans le cadre d’une collaboration internationale avec l’université de Liège, c’est cet environnement qui fait l’objet de recherches afin de caractériser les styles interactifs dans lesquels les enfants sont inscrits et qui leur servent de modèles puis de soutien afin d’améliorer l’input dont l’enfant peut bénéficier. Ici encore recherche fondamentale et finalisée sont directement associées.
- celui d’une convention de recherche entre chercheurs de MoDyCo et cliniciens de l’UPPEA (Unité de Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent) de l’hôpital Sainte-Anne à Paris, convention qui autorise une relation de collaboration directe entre spécialistes des Sciences du Langage et acteurs de la santé publique (orthophonistes, psychologues et médecins). Cette forme de collaboration sur le terrain, exceptionnelle et inédite, permet ainsi de porter à la connaissance du linguiste ce qui caractérise le parcours d’un enfant venant consulter pour des troubles d’apprentissage, les explorations (linguistiques et psychologiques) dont il fait l’objet, permettant d’aborder la spécificité de ses difficultés dans la multiplicité et la diversité des situations de communication qui lui sont proposées et de confronter alors la linguistique co-énonciative à la validité de concepts définissant les comportements langagiers comme ceux de profil langagier et de style interactif. Réciproquement, les outils conçus dans ce cadre à des fins de diagnostic et de remédiation sont élaborés collaborativement, faisant l’objet d’une série d’essais avec le concours des utilisateurs afin de valider les choix opérés. Cette circulation discursive et conceptuelle entre acteurs de différentes disciplines s’avère particulièrement prometteuse quant à la performance des outils ainsi élaborés, participant ainsi à améliorer l’efficacité d’un accompagnement dont l’enjeu sociétal s’avère majeur. Cette articulation a rarement fait l’objet en soi d’une recherche spécifique dans la collaboration entre chercheurs et cliniciens d’autant qu’au-delà d’outils, ce sont les techniques d’apprentissage explicite de l’oral qui sont ici convoquées. En particulier, dans les divers parcours concernés, on s’interrogera sur les modalités du passage d’un apprentissage implicite à un apprentissage explicite : pour ne prendre qu’un exemple, les anaphores nominalisées constituent la stratégie préférentielle des enfants tout-venant pour maintenir hors ambiguïté la continuité référentielle des personnages d’une histoire, alors que les anaphores pronominalisées sont l’apanage des enfants en difficulté. Au-delà du recensement quantitatif des outils utilisés, ce sont les modalités de « transmission » explicite d’une stratégie spontanément adoptée par les tout-venant qui doit ici faire l’objet de la réflexion.
5. Ressources produites
- outil d'évaluation syntaxique de langage spontané : F-LARSP :
http://www.ucs.louisiana.edu/~mjb0372/LARSP_charts_2012/F-LARSP__French_/f-larsp__french_.html.
- 600 récits du CP au CM2 mis à la disposition des chercheurs ainsi que la base de données associée ; données issues de l’étalonnage du test Narracom.
6. Livrables
Récits d’enfants et d’adolescents : développements typiques, atypiques, dysfonctionnements, Journées scientifiques internationales organisées par Christiane Préneron et Claire Martinot, Université Paris Ouest Nanterre la Défense et Paris-Sorbonne, UMR 7114, MoDyCo – EA 4509 STIH 12 & 13 Octobre 2012, Amphithéâtre Durkheim, Université Paris Descartes
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