Lexique, morphologie, sémantique
1. Membres de l’opération
Membres rattachés à titre principal
Françoise Kerleroux (responsable)
Sarah Leroy (responsable)
Didier Bottineau
Guillaume Desagulier
Philippe Gréa
Sylvain Kahane
Doctorant
Olivier Bondeelle
Jeunes chercheures associées
Valelia Muni Toke
Sophie Saulnier
Membres associés
Pierre Larrivée (Aston University)
René Lavie
Florence Villoing (Université Paris 8)
Collaborations extérieures
Jeanne Aptekman (Université Paris 3)
Georgeta Cislaru (Université Paris 3)
Olga Inkova (Université de Genève, Suisse)
Carmen Kelling (Université de Konstanz)
Michelle Lecolle (Université de Metz)
Dominique Legallois (Université de Caen)
Sylvain Loiseau (ICAR)
Judith Meinschäfer (Université de Konstanz)
Igor Mel’cuk (Université de Montréal)
Alain Polguère (Université de Montréal)
Delphine Tribout (Université Paris 7)
Dan van Raemdonck (Université de Bruxelles, Belgique)
2. Problématique
Le lexique, traditionnellement situé au carrefour de la sémantique, de la syntaxe et de la morphologie, est composé d’unités qui constituent des touts, tout en restant accessibles par strates, par couplage/découplage de ces strates, selon les fonctions qui sont identifiées par les théories de la morphologie, de la sémantique, ou de la syntaxe. Les unités multidimensionnelles qui constituent le lexique exigent un traitement combinant des approches différentes. Mais la perspective lexicaliste commune dans laquelle nous nous situons consiste à envisager que le maximum d’informations linguistiques est inclus dans les propriétés sémantiques des unités lexicales et que ce sont ces propriétés qui sont projetées dans les deux plans des structures syntaxiques (syntagmes et phrases) et des structures morphologiques (lexèmes complexes). L’objectif est donc de découvrir, savoir classer, factoriser et noter les propriétés sémantiques des unités lexicales. Les dimensions identificatrices des unités lexicales, des lexèmes, ne sont pas traitables au nom d’une correspondance Forme/ Sens, directe ou indirecte. D’où des investigations sur les cas d’allomorphie, de polysémie, d’alternances de constructions.
3. Actions
1) Morphologie
Les descriptions et théorisations qui faisaient de la morphologie une application particulière de règles définies ailleurs, en l’occurrence par les règles de réécriture de la syntaxe, ont été récusées, et les travaux de recherche depuis 30 ans (Aronoff 1976) définissent la discipline comme un ensemble d’opérations formelles et sémantiques, limitées au domaine du mot, dont les langues font deux usages : la flexion, qui est la réalisation morphologique de la syntaxe, et la dérivation, qui est la réalisation morphologique de la formation de lexèmes. L’enjeu théorique et concret de la recherche dans la discipline est alors de découvrir des généralisations morphologiques qui ne se prêtent à aucun parallèle, ou mise en correspondance avec d’autres constructions linguistiques.
- Divers phénomènes conduisent à concevoir la morphologie dans ses propres termes :
(a) Des unités lexicales propres : les bases non autonomes d’origine grecque ou latine. Ainsi la morphologie prend pour bases de ses opérations de construction, par composition (parricide, aqueduc, anthropophage) ou par affixation (galactique, onirique, incinérer) des lexèmes qui ne se manifestent comme tels dans aucun syntagme ou phrase.
(b) Unicité ou pluralité des formes phonologiques assignées aux lexèmes : c’est un fait purement morphologique que tel lexème soit équipé de plusieurs radicaux, non assignables à des différences sémantiques ou syntaxiques, qui sont identifiés exclusivement par l’usage qu’en fait la morphologie soit flexionnelle (indexation des radicaux d’un verbe dans l’espace thématique que définit le paradigme de la conjugaison), soit dérivationnelle (identification d’un radical caché, servant de base aux affixations en -ion, -eur, -if ; form(er) vs format- dans formation, formateur).
(c) Unicité ou pluralité des contenus sémantiques associés à une forme phonologique. L’identification sémantique des lexèmes doit être rapportée aux constructions (Goldberg, 1995) dans lesquelles ils apparaissent, et la morphologie lexicale met en jeu ces différences ou alternances de construction, sous la forme cruciale de lacunes. Ainsi on identifie les contenus sémantiques distincts associés à des formes uniques selon qu’il s’agit d’un verbe de mouvement (à direction inhérente) ou d’un verbe d’activité, identités lexicales distinctes qui se manifestent dans la dérivation impossible ou possible de noms déverbaux agentifs en -eur (monter, descendre), ou selon qu’il s’agit d’un verbe de localisation ou non, ce que manifeste la dérivation impossible ou possible de noms déverbaux de procès (comporter, comprendre). Dans ces champs de recherche (allomorphie, polysémie), la composante de morphologie se présente comme un outil d’exploration, en particulier parce qu’elle permet de discerner des lacunes dans les constructions morphologiques
- Parallèlement, il est nécessaire de réexaminer la notion de morphème. Si des travaux importants de ces vingt dernières années ont montré son inadéquation, d’autres travaux continuent de l’utiliser et de la promouvoir. Il devient alors intéressant de s’interroger sur les raisons de cette situation, en dehors d’hypothèses relevant de la sociologie de la science. Nous partons des travaux de Kerleroux & Marandin (1994), dans lesquels les traitements proposés des mêmes données (en l’occurrence, le GN « sans nom ») se laissent répartir dans les deux modes de connaissance proposés par Pariente (1973) soit, dans ses termes, la « connaissance par modèle » et la « connaissance par système ». Nous reprenons ce type d’approche pour développer l’hypothèse de Kerleroux (2006), selon laquelle l’approche morphématique tomberait sous le mode de la connaissance par système. Dans un deuxième temps, nous nous interrogerons sur les fondements « idéologiques » du mode de connaissance par système, « idéologique » faisant ici référence aux travaux de S.J. Gould (1982), qui ont montré comment des logiques, des valeurs, des cadres de référence non scientifiques traversent la pensée scientifique.
2) Sémantique
L’action Sémantique a pour objectif 1) d’interroger la représentation sémantique des mots construits et en particulier la place du sémantique dans les processus morphologiques, de façon à obtenir une représentation du sens des mots construits en relation avec celui des mots simples, sans oublier le cas du nom propre 2) de développer, vérifier et/ou interroger la validité de théories cognitives fonctionnelles, essentiellement à partir de données du français. Du point de vue méthodologique, cette action donne une importance centrale aux corpus et aux outils de fouille.
2a) Types sémantiques
Il s’agit d’étudier la structure du lexique, du point de vue des liens entre les unités lexicales, liens à la fois paradigmatiques (polysémie, synonymie, antonymie, hyperonymie, etc.) et syntagmatiques (cooccurrence lexicale restreinte) et de celui de l’analyse sémantique des lexies. La perspective choisie est celle du typage des lexèmes, à la fois au niveau de l’élaboration de la représentation formalisée des sens des lexies et de l’étude du rôle des types sémantiques dans la structuration du lexique, mais également à celui de la formalisation des liens lexicaux et de la modélisation dans le cadre de l’élaboration de lexiques formels.
Dans un premier axe on s’intéressera aux types « objet » et « propriété » (Godard & Jayez, 1996), en particulier les noms d’objets dénotant des humains (N-eur en français) et à la possibilité d’utiliser l’hypothèse sémantique des types lexicaux à la catégorie du nom propre (phénomènes de changement ou d’empilement de types, comme les toponymes événementiels). Il s’agira enfin d’élaborer des outils et des méthodes pour noter la représentation sémantique des lexèmes, dans un travail de comparaison à partir de Jackendoff (1990), Wierzbicka (1996), Pustejovsky (1995), Beard (1995), Lieber (2004).
Dans un second axe, l’étude de la polysémie, en particulier la classification des différents types de liens de polysémie, sera centrale du fait de son caractère incontournable dans l’identification des lexies. La modélisation des liens lexicaux non standard (ne relevant pas d’un type répertorié comme l’antonymie, l’intensification, etc.) viendra la compléter.
2b) Grammaires de constructions et stock lexical
Il s’agit d’observer le rôle et l’importance des constructions, au sens des grammaires de constructions (Langacker (1987), Lakoff (1987), Fillmore et al. (1988), Goldberg (1995), Croft (2001)), qui s’appuient sur le principe selon lequel les séquences linguistiques linéaires qui fondent toute communication verbale finissent par faire émerger des schémas langagiers réguliers plus ou moins figés qui prennent la forme de constructions grammaticales, allant du simple morphème à la proposition la plus générale, qui ont toutes en commun d’être des assemblages symboliques de forme et de sens. Cette approche permet d’éclairer le rôle de la mémoire, de l’apprentissage, et la part de créativité, dans la construction des unités de la grammaire, sans pour autant devoir opérer une distinction, factice au vu du grand nombre de constructions à mi-chemin entre le lexical et le procédural, entre lexique et syntaxe.
À la lumière de cette approche, on privilégiera l’observation des classes ou types lexicaux qui interviennent dans des constructions données (type d’adjectifs dans les comparaisons à parangon Adj + GN) et l’influence de la construction sur les unités grammaticales qui s’y inscrivent. Cette perspective permettra aussi de revisiter la notion de polysémie, ainsi que les phénomènes de changement et de fixation dans la grammaire des locuteurs. Différentes classes de phénomènes seront abordées, dont la notion générale d’expression du plus haut degré, à travers l’étude de comparaisons intensives, et l’analyse de constructions émergentes du français et de l’anglais.
2c) Imagerie, profilage et saillance
Il s’agit de développer la notion d’imagerie issue de la grammaire cognitive, qui permet de distinguer des unités quasi-synonymes (unités grammaticales : déterminants (les indéfinis « vagues » quelques et plusieurs) et prépositions) par des différences de profilage. On envisage d’étendre la caractérisation en termes de profilage et de saillance à la classe des noms, en particulier les noms collectifs (forêt, bouquet) et de collection (argenterie, vaisselle) et les massifs pluriels (représailles, haricots). Ces différentes classes présentent en effet des similitudes formelles intéressantes que le concept de profilage peut aider à systématiser. Ces questions entretiennent en outre des rapports étroits avec la question du pluriel, spécifiquement traitée dans le cadre cognitif. De plus, une analyse comparative des approches qui ont abordé ces données contribuera à éclairer le champ : ainsi, les notions de discret, dense et compact liées à l’approche énonciative peuvent être comparées à celles d’entité, de massif et de massif répliqué dans la grammaire cognitive ou aux notions de groupe et de somme en sémantique formelle.
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